Théâtre populaire Désiré Bonogo : Un pas franchi, qui pour le grand saut ?
La cuvette du mythique Théâtre populaire Désiré Bonogo a accueilli du monde dans la soirée du 26 novembre 2022. La raison ? Les centaines d’hommes, femmes et enfants qui se sont mobilisés, étaient invitées à prendre part à une performance finale. Il s’est agi, autrement dit, de l’épilogue du projet « Harakaat » sous la houlette des Goethe Institut du Soudan et du Burkina Faso en collaboration avec le Centre de développement chorégraphique (CDC) la Termitière.
Dans le cadre de ce projet, les institutions citées ont décidé d’inscrire des travaux de réhabilitation du Théâtre populaire Désiré Bonogo, qui a perdu son lustre d’antan : peintures blanchies, toilettes vétustes, ouvertures obsolètes, scène et gradins dans un état de décrépitude très avancée… Lire aussi : https://kulturekibare.com/2022/01/06/theatre-populaire-desire-bonogo-le-cri-dindignation-du-celebre-choregraphe-salia-sanou/
L’édifice a effectivement fait peau neuve. Loin d’une réhabilitation, c’est plutôt une rénovation sommaire. L’ambition du directeur du CDC la Termitière, Salia Sanou est plus grande et ses attentes encore plus maousses. Néanmoins, ce n’est pas rien.
En effet, le projet « Harakaat » a permis le nettoyage, la désinfection, la peinture, l’installation d’électricité, la remise en marche d’une partie des toilettes du Théâtre populaire Désiré Bonogo. Nous sommes reconnaissants aux Allemands! Mais, ce n’est qu’une petite partie de la réhabilitation qui a été prise en compte.
Il reste encore de grands chantiers dont le réaménagement de la cage scénique et l’acquisition d’un équipement adéquat (sonorisation, lumière, poursuite, projecteurs, etc.) pour répondre aux normes internationales afin d’accueillir les spectacles de haut niveau. Un financement de 250 millions Fcfa fera l’affaire, a-t-on appris dans les coulisses. Malheureusement, la ville de Ouagadougou, le ministère en charge de la culture, les grands opérateurs économiques, les acteurs culturels, disons tout un pays peine à mobiliser cette somme depuis des années. Triste et dommage !
Peut-être que les Burkinabè l’ignorent. Un petit cours d’histoire sur l’apogée et déclin du Théâtre populaire Désiré Bonogo ne serait donc pas de trop. Référons-nous alors aux travaux de Lassina Simporé in Ouagadougou, capitale culturelle ouest africaine, 2004, référence : Histoire de Ouagadougou, des origines à nos jours. De la page 331 à 345, le maître conférencier en Archéologie africaine et gestionnaire de patrimoine culturel immobilier, s’est appesanti sur le Théâtre populaire Désiré Bonogo.
Il ressort de son récit que c’est sous la Révolution d’août 83 que le Théâtre populaire Désiré Bonogo a été construit par des techniciens coréens avec la contribution des habitants du quartier pour la confection des briques, du génie militaire pour les engins lourds, l’appui des prisonniers pour les gravats et le secrétariat général de Comités de défense de la révolution (COR) pour les bétonnières, etc. C’est à travers cette mobilisation populaire que l’édifice s’est dressé droit et compact. De quoi être fier de se sentir Burkinabè à cette époque.
Le 29 juillet 1986, la Révolution a décidé de baptiser l’établissement, Théâtre populaire Désiré Bonogo en hommage au chef du département socio-culturel de la présidence du Faso, Désiré Bonogo.
Et c’est le capitaine Blaise Compaoré, à l’époque ministre d’Etat chargé de la justice qui a procédé à l’inauguration de cet édifice dont le but était de rehausser l’image du Burkina Faso à travers sa riche culture et ses artistes.
L’assassinat de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987 a visiblement tué cette ambition. Sinon, qu’est-ce qui pourrait bien expliquer cette léthargie du Théâtre populaire Désiré Bonogo, un complexe multifonctionnel où les représentations artistiques se mêlaient aux activités sportives pour donner vie au quartier Samandin, et par ricochet à la ville de Ouagadougou ?
2015, un vent a soufflé en faveur du sankarisme. Le capitaine Thomas Sankara, tel un phénix renaît subitement de ses cendres, mais seulement, dans le discours.
L’international danseur chorégraphe, Salia Sanou, a poursuivi son rêve de remettre sur orbite le Théâtre populaire Désiré Bonogo. Le 9 décembre 2020, il avait même soumis, lors de la cérémonie d’ouverture de la 13e édition du festival « Dialogue de corps » une étude architecturale de cette fameuse réhabilitation qu’il a transmise au maire de la ville de Ouagadougou, Armand Béouindé. Ce dernier, qui était l’homme fort de la capitale, avait publiquement promis de « faire une bonne exploitation de ce document et ensemble, nous allons faire de ce site un pôle culturel de la ville de Ouagadougou ». Que nenni ! Le dossier n’a abouti, nulle part.
La malchance peut-être de l’engagé Salia Sanou, de notre avis, c’est de ne pas être un politicien affiché, c’est peut-être aussi le fait qu’il ne dispose pas de carte de parti politique. Bref ! La répétition étant pédagogique, il faut rappeler à tous, que le Théâtre populaire Désiré Bonogo est un bien public, un patrimoine culturel national. Lire aussi :https://kulturekibare.com/2021/03/08/remettre-sur-orbite-ces-salles-de-spectacles-moribondes/
Ayons le courage de le dire, les Goethe institut du Soudan et du Burkina Faso ont donné une bonne raclée aux pouvoirs publics burkinabè. C’est une infamie de voir une institution étrangère avec des fonds étrangers, nous apprendre qu’un héritage culturel se choie et s’entretient.
Un nouveau vent a encore soufflé le 30 septembre 2022 au pays des Hommes intègres. « Le flambeau de la Révolution » a été remis au jeune capitaine Ibrahim Traoré, actuel président de la Transition. Son premier ministre, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla semble dans le discours épouser l’idéologie sankariste. Peut-on alors espérer une réhabilitation effective du Théâtre populaire Désiré Bonogo ? Rien n’est moins sûr.
Un pas est franchi, il reste le grand saut. Il faut réhabiliter l’héritage culturel de Thomas Sankara. Il le faut. Si les pouvoirs publics fuient peut-être leurs responsabilités, que les opérateurs culturels s’assument alors. Une chaîne de solidarité ? Nous ne saurons répondre !
La Rédaction