Legs « suite » au Centre culturel Pan-Taabo : Un autre public, des émotions fortes

Legs « suite » au Centre culturel Pan-Taabo : Un autre public, des émotions fortes

L’auteure et comédienne burkinabèLionelle Edoxi Gnoula, dans le cadre de l’initiative du Collier des scènes de diffusion (COSDI), était encore sur scène dans la soirée du 24 septembre 2020. Après les quatre dates bien honorées au Théâtre Soleil, c’était donc le tour du Centre culturel Pan-Taabo sis à Saaba, d’accueillir Legs « suite ». Cette fois-ci, Edoxi était chez elle. 

Edoxi est née en 1986, soit un an avant l’assassinat du président Thomas Sankara. Toute petite, elle va grandir dans une atmosphère politique controversée. D’un côté, les pros Sankara et de l’autre, les pros Blaise Compaoré. Elle va subir le règne de deux régimes qui vont bien nourrir sa vie.

Quatrième d’une famille de cinq enfants de pères différents, Edoxi fut rejetée par son géniteur dès la naissance. Commença sa longue traversée du désert. Impayée, elle est contrainte d’abandonner les bancs. Condamnée, à assurer sa pitance quotidienne, elle se sert de sa petite assiette comme vendeuse ambulante à 11 ans, avant de finir comme serveuse dans les maquis et bars. 

Au même moment, elle sommeillait en elle, la passion du théâtre. Elle découvrit l’espace culturel Gambidi et fit la connaissance de l’icône du théâtre burkinabè, Jean Pierre Guingané. Entre son apprentissage, ses spectacles, ses tournées, Edoxi ne percevait que de monnaie de singe de la part du fondateur du théâtre de la Fraternité et de l’espace Gambidi. La pauvre est vite rappelée à l’ordre lorsqu’elle revendique, ne serait-ce qu’un cachet décent pour pouvoir satisfaire ses besoins les plus élémentaires. Oui, il arrivait parfois qu’elle pédale dans sa bicyclette pour venir répéter à Gambidi, le ventre creux. Il arrivait parfois qu’elle perçoive moins de 40 Euros (environ 25 000 FCFA), gain d’une tournée européenne de théâtre de plusieurs semaines. Il arrivait aussi qu’elle signe des contrats avec son mentor Jean Pierre Guingané, malgré elle pour ne pas se faire réprimander. 

Contre vents et marrées, Edoxi s’est tout de même construite. Elle va arriver à se positionner en prenant toute seule son envol. Sa détermination, son engagement, sa force, elle les a hérités de sa mère qui était à la fois son père. La fille s’était promis de sortir celle-ci de la misère. De scènes en scènes, de tournée européenne en tournée européenne, Edoxi a pu se faire une place dans le monde du théâtre, au Burkina Faso, mais aussi en Europe. Elle est la première femme comédienne burkinabè dans le palmarès du prix Maeterlinck en Belgique, l’équivalent des « Molières » en France.

 

Edoxi a pu s’acheter un terrain en 2014 pour le besoin de la création, de la recherche, de la diffusion des arts de la scène au Burkina Faso et en Afrique. Il s’agit d’une résidence, de salle de répétition, d’un restaurant, d’une administration et d’une bibliothèque. Elle s’est mariée, elle a eu des enfants. Son niveau de vie n’est plus celui qu’elle a connu à son enfance. La petite vendeuse d’arachides et la serveuse dans les maquis, d’autrefois a désormais un nouveau statut enviable.

Edoxi a vécu, a entendu et a vu. Elle a décidé alors d’écrire son histoire en 2014 tout en scrutant les moindres détails de son parcours de vie, d’où Legs (Lionelle Edoxi Gnoula Scène). Restant sur leur faim, ses collègues de par le monde, lui suggèrent de réécrire la suite de cette pièce. C’est ainsi qu’elle rebelote avec Legs « suite ». Et cette fois-ci, elle avait entrepris de rencontrer physiquement son père, pour qui elle nourrissait de la haine. 

Legs « suite » est une pièce engagée socialement. Elle établie le rapport physique entre la fille rejetée et le père renié. Une rencontre pleine d’émotions et de rebondissement. Dans une mise en scène de Philippe Laurent, la comédienne monologue pendant plus d’une heure 15 minutes sur scène. Un seul en scène, dans la peau de plusieurs personnages, Edoxi bascule d’un interlocuteur à un autre sans la moindre monotonie. Dans cette pièce, les débats sur la mort de Thomas Sankara jusqu’à la chute de Blaise Compaoré ont une place importante. Le récit est sincère. Le ton est parfois virulent. L’ironie, la satire, les paraboles, en fait tout y est. Dans sa peau de comédienne, Edoxi jonche les différents personnages qu’elle interprète avec des émotions différentes. 

En jouant la pièce devant Claude Guingané, fils de Jean-Pierre GuinganéEdoxi ne s’affiche pas en hypocrite. Elle restitue les faits sans filtrer les mots, aussi durs, soient-ils. Et comment l’actuel directeur du Gambidi l’aurait-il reçu ? 

Ce « seul en scène » émouvant occupe la scène de façon méthodique. Assise sur sa chaise à droite, en suite à gauche, débout assise, monologue, monologue, monologue, jusqu’à la fin. En présentant la pièce au Centre culturel Pan-Taabo (créé en 2014 et inauguré en 2016 par Lionelle Edoxi Gnoula), quelle pouvait être la réception du public ? Nous étions bien dans les non-lotis de Saaba, une banlieue de Ouagadougou à une trentaine de minutes de route. C’est un autre regard de la population sur le théâtre, c’est aussi une réalité avec le transport logistique. Groupe électrogène, lampes solaires, public mitigé et moins réceptif, pas comme celui de la ville, voici l’ambiance du spectacle Legs « suite ». La pièce sera encore de mise à partir du 26 septembre prochain au Théâtre de l’Aube à Karpala. 

Malick SAAGA 

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