« Legs suite » : La représentation théâtrale autobiographique d’Edoxi Gnoula

Depuis l’ouverture de la 17^e édition du Festival international du théâtre et de marionnettes de Ouagadougou (FITMO), le 26 octobre 2019, les spectacles s’enchaînent. Au soir du deuxième jour, la représentation « Legs suite » de la comédienne burkinabè Lionelle Edoxi  Gnoula était en programmation. Une pièce autobiographique et monologue  qui retrace l’histoire réelle de sa vie, allant de son rejet par son papa à la femme qu’elle est devenue aujourd’hui, en passant par son parcours dans le théâtre.   

D’un air médusé et désemparé, Lionelle Edoxi Gnoula, assise sur une chaise monologue. Elle introduit par une discussion entre deux clients dans un bar, préoccupés par la politique de leur pays. Un pro Sankara et un pro Blaise, autour d’une bière, s’arrosent à tour de rôle d’argumentaires afin de vanter les mérites de chacun des deux anciens présidents du Burkina Faso.  « Sankara était un dictateur … », soutient le doyen. « 37% pour un taux d’alphabétisation en 27 ans de règne, est-ce un exploit ? », réplique le jeune homme. Tantôt le barman est sommé de doser le volume de la musique. Les vendeurs ambulants passent et repassent. Dans un coin discret du bar est cloitrée une fille. Devant sa bouteille de beaufort et un stylo en main, elle écrit sans relâche. Il s’agit d’Edoxi Gnoula qui réécrit son histoire.

« Cette pièce fait allusion à ma propre histoire. Celle qui avait déjà été écrite qui est Legs. Et là, c’est la suite d’une réalité qui s’est avérée après ma rencontre avec mon père. Parce que quand j’écrivais Legs, je n’avais pas encore rencontré mon père. Dans la finition de Legs, j’avais fait le pas d’aller le rencontrer. Mais je ne pouvais plus remettre cela dans la rage que j’avais au début. Donc, il y avait une nécessité pour moi de me re-questionner par rapport à ce que j’avais comme image de ce père. Parce que j’écrivais le texte quand j’avais 30 ans et je l’ai rencontré pour la première fois quand j’avais 30 ans. Avant de le rencontrer j’avais gardé une image de lui, puisque la dernière fois que je l’avais vu, c’était à 13 ou 14 ans. J’avais gardé cette image d’enfant face à un père jeune. A mes 30 ans, je suis allée le voir et j’ai compris que le temps était passé. Il était devenu vieux, en plus il n’était même pas en bonne forme pour pouvoir accueillir ma rage face à lui. Moi, personnellement, ça m’avait dégonflé. Quand on a discuté pendant des jours, ça ramené une certaine contraction par rapport à cette rage que j’avais au début. Il fallait que j’écrive la suite de ça », a expliqué la comédienne. Juste après sa rencontre avec son géniteur en 2015, ce dernier décède un an après.

Lionelle Edoxi Gnoula pendant le specetacle

Que peut bien expliquer le thème sur la politique du Burkina Faso ? Selon Edoxi Gnoula, il n’y avait pas que son histoire à raconter. «  Legs suite, c’est aussi la grande histoire de notre pays. Après le départ de Blaise Compaoré, qu’est-ce qui se dit autour de nous ? C’est pour ça que je convoque tout le monde dans un maquis et je fais parler les gens pour montrer à quel point nous avons une certaine contradiction dans notre monde. Nous ne sommes pas toujours satisfaits de tout ce qui se passe », a-t-elle confié.

Dans cette mise en scène d’une heure 20 minutes, Edoxi Gnoula, toute seule incarne tous les personnages. Personne et personne d’autre ne joue avec elle. Tous les faits évoqués dans la pièce reflètent sa vie. « Ce maquis est celui dans lequel mon père aimait s’asseoir pour boire sa bière. C’est ce maquis qui s’appelle circulaire qui est en face de la pédiatrie. Je suis allée faire mes propres recherches là-bas. Après sa mort, je me suis mise là-bas. La première fois que j’ai commencé à écrire Legs suite, je me suis mise dans ce maquis. Je me suis dite ouaih, il faut que j’amène ce maquis sur la scène », a-t-elle laissé entendre.

Aussi, dans son jeu, elle va revenir sur ses débuts dans le théâtre. Entre coups foirés, exploitation et sacrifice, elle se laisse témoigner en interagissant dans son monologue avec l’illustre dramaturge décédé, Jean Pierre Guingané. A entendre Edoxi Gnoula, il y a eu des coups durs à ses débuts dans le métier. « Je ne comprends pas, pourquoi je dois travailler et que je ne suis pas payé ? Pourquoi je dois voyager et au retour tu n’as même pas deux ronds pour payer un gâteau ? », s’est-elle rappelée de quelques mauvais souvenirs.

Dans Legs suite, la comédienne laisse parfois les mélodies de l’artiste ivoirien, Serges Beynaud transporter les téléspectateurs. Elle a estimé que le choix n’est pas fortuit et que ce sont les réalités des maquis burkinabè où c’est le coupé décalé qui domine dans le répertoire des disques jockey (DJ). Pendant la scène, elle a aussi projeté l’image de son enfance, de son père et de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014.

Legs suite lui a valu le prix Maerterlinck 2019 de « Meilleur seul en scène » à Bruxelles (Belgique) le 23 septembre 2019. Bien que l’artiste joue toute seule sur scène, elle n’a omis de préciser tous les acteurs qui ont participés à la réalisation. Elle a cité Philippe Laurent (metteur en scène), Sidiki Yougbaré (qui a assisté à la mise en scène et la régie son et vidéo) et Aurore Leduc (assistante régie).

La pièce « Legs suite » est encore en programmation, le 28 octobre 2019 à l’Espce culturel Gambidi à 19 heures, dans la grande salle.

Malick SAAGA