Les 1 500 000 000 Fcfa du cinéma : Des doubles financements pour faire la même chose
La subvention de l’Etat burkinabè d’un montant de 1 500 000 000 Fcfa, accordée exclusivement aux acteurs du 7e art pour la production et la postproduction de leurs œuvres cinématographiques, suscite des interrogations après la proclamation des résultats des bénéficiaires, le 8 décembre dernier. Ce fonds dont le Secrétariat technique du Centre national de la cinématographie et de l’audiovisuel (ST-CNCA) a les clés de répartition, risque de fragiliser le tissu culturel et artistique. Puisqu’au-delà des différents appels à projets du Fonds de développement culturel et touristique (FDCT) où les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel sont déjà éligibles, ils bénéficient également d’une subvention de 1 500 000 000 Fcfa.
On se rappelle encore, dans cette même colonne, notre éditorial du 10 octobre 2022 interpellait le secrétaire général du ministère de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme (MCCAT) sur cette double faveur. Lire aussi :https://kulturekibare.com/2022/10/10/fonds-special-cinema-double-faveur-pour-les-acteurs-du-7e-art/
Venons-en au fait. Après un appel à projets ouvert uniquement à la filière cinéma et audiovisuel, 142 dossiers ont été réceptionnés et examinés par trois comités de sélection, chapeautés par un superviseur, Stanislas Meda. La délibération fait état de 47 structures bénéficiaires. Ces résultats, à en croire le ST-CNCA ne concernent que la production et la postproduction. Nous osons croire que les autres résultats suivront très bientôt dans les autres catégories restantes dont la promotion des œuvres cinématographiques.
Pour l’instant, le montant total accordé aux 47 projets s’élève à 714 millions Fcfa, si nos calculs sont bons. Il y a alors un reliquat de 786 000 000 Fcfa à justifier. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat, à notre niveau, même si le réalisateur Yacouba Napon dit MCZ, ajourné, dénonce une sélection arbitraire, partisane et partiale.
Porter un jugement de valeur sur la transparence, la crédibilité, le sérieux ou le professionnalisme des personnes qui ont délibéré, nous importe peu. Parce que, nous ne disposons pas de preuves tangibles pour infirmer ou confirmer ces résultats comme MCZ. Nous n’allons non plus passer au crible la méthodologie des comités de sélection dans le cadre des 1 500 000 000 Fcfa du cinéma.
La quintessence de notre analyse repose cependant sur cette DOUBLE FAVEUR des acteurs du 7e art dans les financements des projets du ministère de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme (MCCAT). Ce que nous craignions est malheureusement constaté.
Rendez-vous compte que certains bénéficiaires parmi les 47 projets cinématographiques, ont déjà un financement du FDCT pour le même besoin de la production ou la postproduction. On se retrouve avec un projet de film qui s’attribue deux financements du même département (MCCAT) pour mener la même activité. Puisque vous n’ignorez pas que le FDCT et le ST-CNCA dépendent tous du MCCAT.
Le long-métrage « Djugu, le mal de l’ombre » du réalisateur et producteur de film, Oumar Dagnon, bénéficie d’un financement de 24 777 000 Fcfa du 1er appel à projets du FDCT, donc de l’Etat burkinabè avec l’appui de l’Union européenne, dans le cadre du Programme d’appui aux industries créatives et à la gouvernance de la culture (PAIC-GC). Ce fonds alloué était destiné à une préproduction, une production et une postproduction. Ce même film « Djugu, le mal de l’ombre » vient de bénéficier de l’appel du fonds cinéma à hauteur de 15 millions Fcfa pour sa postproduction. Un double financement en faveur de Waati Group Sarl qui se frotte certainement les mains. Lire aussi :https://kulturekibare.com/2022/02/16/suivi-evaluation-des-projets-paic-gc-la-toute-premiere-mission-conjointe-du-fdct-chez-waati-group/
« Exogène (le sermon des prophètes) » du réalisateur Seydou Boundaoné a également été subventionné à hauteur 14 millions Fcfa pour une postproduction dans le cadre des 1 500 000 000 Fcfa du cinéma. Il avait pourtant bénéficié d’un montant de 25 382 331 Fcfa dans le 1er appel à projets du FDCT avec l’appui de l’Union européenne, toujours dans le cadre du PAIC-GC, pour la production du même film avec sa structure « Les studios du bosquet ». Lire aussi :https://kulturekibare.com/2022/02/21/burkina-faso-le-fdct-finance-un-film-qui-traite-du-terrorisme/
Le film « Une si longue nuit » de Delphine Yerbanga est bénéficiaire du 2e appel à projets du FDCT dans le cadre du PAIC-GC pour une subvention accordée de 39 millions Fcfa devant servir à la production. Ce même projet de court-métrage fiction vient de tailler sa part de 10 millions Fcfa dans les 1 500 000 000 Fcfa du cinéma pour une production aussi.
Il en est de même pour le court-métrage fiction « Dans la peau d’un autre » de B. Constant Ouédraogo. Il a eu, le 15 novembre passé, un financement de 38 824 221 Fcfa suite au 2e appel à projets du FDCT dans le cadre du PAIC-GC avec l’appui de l’Union européenne. Ce film bénéficie encore de 15 millions Fcfa de la subvention de l’Etat accordée au cinéma pour une production.
Quelle chance ! Et si ce n’est pas une double faveur pour les gens du cinéma, qu’est-ce que c’est alors ? Disons-le tout net, c’est le comble de l’iniquité. Il faut impérativement revoir les mécanismes de ces financements accordés aux acteurs culturels avant qu’une crise n’éclate. Il faudra accorder la même chance à tous les acteurs, sinon nous tombons visiblement dans un favoritisme, dans un partage de gâteau entre petits copains ou encore entre kôrô et dôgô.
Imaginons un peu, si cette subvention cinéma de 1 500 000 000 Fcfa avait été affectée au FDCT pour la répartition, comme nous l’avions bien suggéré, serions-nous dans ce tohu-bohu? A chacun d’épiloguer!
La Rédaction