Grand Docteur (artiste-chanteur) : L’exemple d’une rude et exaltante épreuve de vie
Activiste et artiste-chanteur burkinabè qui officie dans la musique reggae, Grand Docteur, 45 ans, n’est plus à présenter aux mélomanes. Célèbre ou populaire, c’est selon. Membre influent de la Coalition pour la renaissance artistique (CORA/BF), il reste une pilule amère pour certains acteurs du show-business. Marginalisé, boycotté et même rejeté depuis son altercation avec un animateur de la Radio Omega en 2017, l’artiste est à rude épreuve. Mais il n’a jamais cessé de se battre pour s’affirmer.
Alphonse Sana Kaboré, autrefois Petit Docteur, se fait appeler aujourd’hui Grand Docteur. Il estime qu’il a suffisamment grandi après toutes ces années de lutte pour s’affirmer dans la vie. Son histoire est peut-être familière mais son parcours est si singulier.
Entre sot-métiers et abandon des études
C’est en 1993 que Grand Docteur dépose ses bagages dans la capitale. Travaillant comme garçon de ménage, puis marchand ambulant de médicaments de rue, il finira par s’investir dans la vente d’eau à l’aide de sa barrique. La nuit tombée, il va suivre ses cours du soir, dans le quartier Sigh-Nonghin. De sot-métier en sot-métier, le petit Alphonse est amené à interrompre ses études. Il se lance désormais dans la vente des CD. Le reggae est son genre de prédilection et Sams’K Le Jah est son idole. Le jeune vendeur de disque voudrait ressembler au « chasseur de dictateur ». Après avoir économisé un peu d’argent, Grand Docteur réussit à réaliser une maquette en 2006, suivie plus tard de son premier album « Trop c’est trop » en 2007.
La chanson de Grand Docteur « censurée »
Engagé dans ses textes, le tonitruant s’expose au régime de Blaise Compaoré parce que dénonçant les dictateurs. Le poussin est très vite tenté de s’étouffer dans l‘œuf. Et pour preuve, la chanson Pouvoir à vie, extraite de l’album « Ma vérité » est, selon sa confidence « censurée ». Aucun animateur ne prenait le risque de la jouer en 2012, dit-il. Grand Docteur, à l’en croire a erré jusqu’en 2014. Cette année-là, la société civile et le Chef de file de l’opposition politique burkinabè avaient commencé à se mettre en orde de bataille contre la modification de l’article 37 de la Constitution burkinabè.
Le succès long feu
C’est à partir de ce moment que le destin sourira à Grand Docteur. Le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le CFOP jadis, les leaders des Organisations de la société civile dont Safiatou Lopez/Zongo s’approprieront le refrain de Pouvoir à vie dans les meetings et autres rencontres de protestation.
« Président africain, je suis désolé ! Trop de corruption yeah, trop de dictature ! Les changements de constitutions entraînent coup d’Etat ! Pouvoir à vie, pouvoir à vie, l’Afrique en retard ! Président assassins nous sommes fatigués ! », c’est le chœur devenu un hymne pour s’opposer au projet de modification de la Constitution en 2014.
Grand Docteur, de nouveau boycotté
Même après la déchéance du régime Compaoré, Grand Docteur sera confronté aux mêmes problèmes. Il fera encore l’objet de boycott suite à une décente « musclée » des membres de la CORA/BF dans les locaux de la Radio Omega pour exprimer un mécontentement vis-à-vis d’un animateur qui ne jouerait pas la musique burkinabè dans son émission. La sanction est immédiatement tombée. Si certains artistes de la coalition s’étaient vu sanctionner par l’ensemble des journalistes et animateurs culturels sur toute l’étendue du territoire burkinabè, Grand Docteur avait à lui seul, payé le plus lourd tribut. Pis encore, son intégrité et sa dignité étaient foulées aux pieds par les internautes. Toutes les injures les plus indécentes et les plus ignobles ont été proférées. Sa fille de 22 ans était traumatisée, selon ce qu’il nous a confiés. Elle finira par surmonter cette haine à l’endroit de son papa qui a juste eu le malheur de lutter pour l’amélioration des conditions de vie de l’artiste. Le boycotte de Grand Docteur a continué dans les médias.
Dans les événements majeurs du pays, à l’image du plateau de la fête de l’indépendance ou la Semaine nationale de la culture (SNC), Grand Docteur avoue n’avoir jamais été programmé. Il a même affirmé avoir vu son nom, à plusieurs reprises rayer de la liste des artistes à prester dans tel ou tel événement.
A l’épreuve des humiliations
Sans jamais fléchir, le fils de Lallé (Koudougou) est arrivé à se frayer son petit bonhomme de chemin contre toute attente. S’il manque de scènes le plus souvent à Ouagadougou, ce n’est pas le cas dans les autres chefs-lieux du pays. Il parcourt avec sa voiture, le territoire d’Est en Ouest, du Nord au Sud pour ses concerts. Grand Docteur, à l’instar de Dez Altino, sillonne le tréfonds du pays pour gagner son pain. « Si tu bara, tu vas daba » disait l’autre. L’artiste l’a compris et ça marche bien chez lui dans les provinces, a-t-il fait savoir. Seulement, qu’avec la situation sécuritaire actuelle ses cachets sont aussi menacés.
De zéro à héros
De zéro Grand Docteur est passé à héros. A l’entendre, son engagement pour la cause de la consommation de la musique burkinabè l’a amené, deux fois, à répondre devant la gendarmerie (Paspanga et Kosyam) et une fois devant le Tribunal de Grande instance de Ouagadougou. Après tout, il n’a jamais été conduit dans une prison.
Artiste-chanteur battant et activiste, aussi membre du Conseil d’administration du Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA), Grand Docteur milite avec son collègue Freeman Tapily pour permettre aux personnes priver de liberté d’avoir le sourire.
Notre Grand Docteur, est parti de rien pour devenir quelqu’un. Le concepteur de « Gam gam ya san » a, en outre réussi avec ses pairs à rendre plus dynamique le secteur de l’industrie culturelle malgré ses frasques. Et ça ce n’est pas rien. Son succès, il ne le doit qu’à sa persévérance. Et ça, il peut en être fier.
Malick SAAGA