Théâtre jeune public : La pièce « Le guérisseur » héroïse un guérisseur au détriment d’un docteur
La pièce « Le guérisseur » était à l’affiche de la première édition des Partages Artistiques pour la Jeunesse (PAJE), dans la soirée du 4 novembre 2021. C’est un spectacle qui allie chant, danse et théâtre que le public a pu voir et apprécier par des applaudissements bien nourris. Mais cette pièce est-elle vraiment adaptée au jeune public dans un Etat francophone ?
Sid-bala est un guérisseur. Grand maître des herbes, il guérit ses patients à travers un procédé peu ordinaire. Pour soigner les maux de ventre, les hémorroïdes, la fièvre typhoïde et autres maladies, il propose quelquefois une recette simple : faire chanter ou faire danser ses patients. Des remèdes assez extraordinaires très efficaces qui font de Sid-Bala le guérisseur le plus respecté du village. Cette bonne réputation de l’héritier herboriste met mal à l’aise le personnel administratif de la médicine moderne. Alors, le docteur et deux autres de ses confrères de la santé multiplient les campagnes de dénigrement sur Sid-Bala. De fil en aiguille, cette jalousie maladive tombe dans les oreilles de la reine. Elle convoque Sib-Bala et les agents de santé dans son palais pour les mettre à l’épreuve. C’est alors que l’herboriste guérisseur fait preuve d’une compétence inouïe et d’une grande sagesse. Il guérit tous les habitants du village avec sa doctrine ancestrale et singulière. Il a naturellement eu tous les honneurs de la reine.
Le spectacle dure 65 minutes. Il est ouvert à tout public à partir de 6 ans. L’auteur du texte est le Directeur des PAJE, Thierry Oueda. Il a également assuré la mise en scène. Céline Kaboré et Faïsal Nana ont exécuté la régie-lumière. La scénographie de la pièce est de Moussa Ouédraogo.
Cette pièce est une très belle vitrine pour la revalorisation de savoir et savoir-faire endogènes sur la pratique médicinale dans nos sociétés africaines. Ces techniques traditionnelles de soins tendent d’ailleurs à disparaître d’où le salut de la pièce. Aussi, le spectacle invite à la pratique artistique, tels que la danse et le chant que l’auteur considère dans une certaine mesure comme des arts thérapeutiques. Ces disciplines se révèlent être des instruments efficaces et très utilitaires dans cette création.
Dans la pièce « Le guérisseur », c’est le grand maître qui est considéré comme le héros. Le docteur et ses confrères de la santé se sont résignés et sont vus comme la risée. Malgré le parcours académique pour devenir un praticien de la médicine moderne, ces soignants n’ont visiblement pas pu faire le poids devant un guérisseur du village qui n’est pas allé à l’école du Blanc. Le don de soigner et de guérir de Sid-Bala est un héritage de son grand-père herboriste.
Dans l’imaginaire des enfants, la médicine traditionnelle soutenue par la pratique artistique est vite perçue comme le parangon au détriment d’une médicine moderne. Or, il faut faire des « longues » études pour devenir un docteur. Chez les adultes, la perception de la pièce peut paraître intelligible, puis qu’elle invite à une réappropriation de savoir et savoir-faire endogènes, identitaires et intrinsèques. Ce qui est très juste. Mais dans un Etat officiellement indépendant et officieusement dépendant de la puissance occidentale, héroïser un guérisseur au détriment d’un docteur ne remettrait-il pas en cause le système éducatif scolaire en vigueur ? Et c’est justement sur cette préoccupation que se fonde notre inquiétude à présenter la pièce devant un public si jeune (à partir de 6 ans).
Il est évident que nous devons changer de paradigme, changer les imaginaires en louant nos héros et en promouvant le savoir-faire identitaire certes, mais tant que les décideurs politiques ne le comprendront pas, les efforts des artistes seront vains, combattus, et leurs créations seront censurées et recadrées dans les quêtes de financements.
Les spectateurs dont des expatriés européens ont aimé la pièce, avec des applaudissements nourris. Mais qu’en sera-t-il avec les puristes de l’éducation scolaire burkinabè ?
Malick SAAGA
Kulture Kibaré