« Kibaré » de Florent Nikiéma : Un spectacle de danse dans un décor hallucinant
Le festival international Dialogues de corps, 13e édition, a refermé ses portes dans la soirée du 13 décembre 2020 au Centre de Développement Chorégraphique, La Termitière, à Ouagadougou. A l’instar des précédents jours, danse et musique étaient au programme. Nous nous sommes intéressés à « Kibaré », le spectacle solo du danseur chorégraphe burkinabè, Florent Nikiéma. Découvrons un univers épatant, avec un décor et une prestation artistique hors du commun.
Un spectacle, longtemps annoncé, a retenu notre attention à ce dernier jour du festival international de danse au Burkina Faso, Dialogues de corps. Il s’agit de « Kibaré » (comment va ? en langue mooré) du danseur chorégraphe, Florent Nikiéma. D’entrée de jeu, son décor est assez étrange, la mise en scène aussi.
Pour le besoin, le danseur, n’a pas exploité le Grand studio du CDC La Termitière. C’est plutôt un espace herbeux, aménagé à l’occasion, qui a servi de théâtre d’expression. A cet endroit précis, sont entreposés l’un à côté de l’autre, du gyrophare, de la clochette, de la brosse à dent, de la pâte dentifrice, un matelas trempé de poussière … En hauteur, juste au-dessus de la tête, des cordes sont fixées à un arbre avec des pneus pendants. Tout paraît à la fois déraisonné. C’est pourtant dans cet univers que Florent a choisi de s’exprimer en toute commodité.
Et comme si ce décor insolite ne suffisait pas, l’artiste dans son expression scénique, va se livrer à un comportement « délirant ». Il se brosse, crache, salive, se donne l’envie de vomir … Cette scène, peu plaisante, fait pourtant passer un message dans l’action.
Dans le spectacle « Kibaré », l’auteur extériorise un ressenti, un dégoût, une rage, une colère vis-à-vis du colon impérialiste dominateur, des dirigeants africains corrompus et des pillages orchestrés sur les ressources fertiles de l’Afrique.
Pour mieux comprendre cette expression artistique, il fallait lire plutôt que de regarder, car l’univers dans lequel Florent a transporté les spectateurs n’était pas si évident pour tous.
Le spectacle « Kibaré » traite plusieurs thématiques à la fois. Il aborde la domination politique et néocoloniale sur les peuples africains. C’est ce qui explique les cordes, la lutte avec le matelas laissant remonter la poussière vers le haut. Cela sous-entend dans la conception de Florent, que l’occident a une mainmise dans l’exploitation du sous-sol africain.
La corruption reste une gangrène en Afrique. Elle contribue à maintenir le continent dans une situation de précarité. Mais, est ce que les dirigeants africains ont-ils conscience ? devraient-ils continuer de s’entredéchirer ? « Kibaré » fait également un zoom sur l’esclavage, avec toutes les tortures et pendaisons des noirs qui se révoltaient à l’époque. Ces faits sont illustrés par des images projetées.
Pendant le spectacle, également, Florent, seul en scène, laisse suinter en fond sonore le discours revigorant de certaines figures emblématiques dont Thomas Sankara. Mais celui de Blaise Compaoré, à qui l’assassinat de Thomas Sankara a profité, donnait envie de vomir au danseur d’où la pituite.
Il y a urgence pour l’artiste. Et ce spectacle est un appel à la prise de conscience, et aussi à la révolte. In fine, partir ou rester devient un dilemme. Chargeant alors son matelas sur les épaules, le danseur tergiverse et finit par rester.
« Kibaré » est un spectacle engagé. Servi à la clôture de « Dialogues de corps » 2020, on ne pouvait pas espérer mieux.
Malick SAAGA