SNC 2020 : « La 20e édition aura lieu », Thierry Millogo
La Semaine nationale de la culture (SNC) aurait dû se tenir du 21 au 28 mars 2020. En raison de la crise sanitaire afin d’éviter la propagation du Covid-19, le Gouvernement burkinabè avait pris des mesures idoines en suspendant toutes les manifestations culturelles et artistiques. Et la biennale s’était vue reportée à une date ultérieure. Pour l’heure, aucune information officielle n’est disponible en ce qui concerne l’annulation pure de cette 20e édition de la SNC. C’est alors que nous avons bien voulu prendre langue avec le Président du comité national d’organisation (PCNO), Thierry Millogo, le 26 octobre 2020 à Ouagadougou, dans les enceintes de la librairie professionnelle « Mercury » dont il est le promoteur, pour mieux situer l’opinion sur la SNC 2020. Que deviendront les finalistes ? Et les dépenses déjà engagées seront-elles remboursées ? Quand et comment ? Autant d’interrogations. Interview !
Kulture Kibaré : Dites-nous franchement si cette année, la 20e édition de la SNC se tiendra ou pas ?
Thierry Millogo : La SNC 2020 n’aura pas lieu mais la 20e édition aura lieu. Tout simplement parce qu’en 2020, pour ce qui concerne la SNC, le Gouvernement a décidé de ne pas tenir la 20e édition, mais cette 20e édition n’est pas annulée. Ça veut dire qu’on a fait la 19e édition et la 20e édition devait se tenir en mars 2020. Cette édition de mars n’aura pas lieu cette année mais la 20e édition aura lieu à une date ultérieure.
Kulture Kibaré : Pourquoi, jusqu’à l’heure actuelle aucune décision claire n’est prise concernant l’annulation officielle de la SNC 2020 ?
Thierry Millogo : Si, il y a eu des mesures prises puisque le Gouvernement lors d’un Conseil des ministres a instruit le ministre de la Culture d’annuler l’édition 2020 de la SNC. Le ministre a été clair là-dessus lors d’une réunion à Houndé. Il a dit que l’édition 2020 n’aura pas lieu. C’est la 20e édition qui est reportée à une date ultérieure.
Kulture Kibaré : Mais jusque-là, aucune note officielle ne mentionne l’annulation pure et simple de la SNC 2020
Thierry Millogo : Il y a eu un rapport en Conseil des ministres qui a délibéré là-dessus. Peut-être qu’on aurait pu, au regard de cette note faire une note officielle d’annulation. Pour ça, on est d’accord avec vous. Mais comme je l’ai dit dans les propos du ministre, c’était clair. Peut-être que c’est quelque chose qu’on peut régulariser en faisant une note officielle d’annulation de la SNC 2020 et éventuellement du report à une date ultérieure de la 20e édition.
Kulture Kibaré : Les positions sont-elles divergentes au sein du CNO quant à l’annulation pure de la biennale cette année ?
Thierry Millogo : Les positions sont divergentes non seulement au sein du comité d’organisation même au niveau du Gouvernement. Aujourd’hui, on pensait qu’on pouvait organiser en prenant des précautions. D’autres pensent que c’était plus simple de reporter. C’est la même tendance au sein du Gouvernement. Il y en a qui était pour et d’autres étaient contre. Quand c’est comme ça, on décide purement et simplement de suspendre l’évènement. C’est ce qui s’est passé. Forcément, il y avait des gens qui n’étaient pas d’accord pour qu’on reporte. Vous avez dû constater qu’au sein même de la population, il y a eu des réactions concernant ce report. Je pense qu’en toute honnêteté, le report était nécessaire. Notre culture ne doit pas être un facteur de propagation du virus. Notre culture ne doit pas être source de problème de santé. Si à un moment donné, au regard de la situation épidémiologique, on pense que des problèmes de santé pouvait être créés, il ne faudrait que notre culture soit incriminée demain pour avoir contribué à propager le virus. Ça ne fait pas bien. Pour préserver notre culture, pour préserver les valeurs culturelles, le bon sens, comme le Gouvernement l’a dit, était de reporter. Et je suis d’accord avec ce report.
Kulture Kibaré : Malgré la situation, la 11e édition des Récréatrales se tient. C’est un festival qui mobilise autant que la SNC. Pourquoi ne vous inspirez-vous pas ?
Thierry Millogo : La SNC c’est derrière. Le contexte épidémiologique a évolué entre temps. On ne se retrouve pas. Imaginez en mars passé, est-ce qu’on pouvait penser organiser même les Récréatrales ? Ce n’était pas possible. C’est normal qu’avec le temps, où on parle de reprise ou de relance des activités culturelles, qu’on puisse organiser les Récréatrales. Mais pour moi, il n’y a pas de comparaison entre les deux évènements. Les Récréatrales, c’est centralisé à Ouagadougou, la SNC est basée à Bobo-Dioulasso avec la présence des treize régions et un afflux massif des populations de toute part. C’est clair qu’il fallait préserver les zones même qui n’étaient pas touchées par Covid-19. Il ne faut pas qu’à la faveur de notre SNC, les gens repartent avec la maladie dans leurs zones. Même quand on prenait les mesures barrières, vous savez que nos gens ne sont pas très disciplinés. Ils ne font pas attention. Il y en a qui croit, il y en a aussi qui ne croit pas. Donc dans ce croire, ne pas croire, on ne sait pas qui allait choper le virus pour le propager dans les régions. Puisque vous aviez à l’époque des régions qui n’étaient pas touchées. Mais, les Récréatrales après un bon moment où on parle de relance des activités culturelles, il était de bon ton qu’on puisse organiser cet évènement. Et il n’y avait pas que les Récréatrales. Vous avez dû constater la tenue de Miss université 2020 et pas mal d’activités culturelles à Bobo-Dioulasso. C’est normal maintenant puisque l’effet peur qui avait amené les gens à prendre ces mesures de façon drastique, a tendance à se dissiper. Je ne situe pas les deux activités dans le même contexte. Si tel était le cas, c’est-à-dire qu’en mars ou en avril, c’est clair que les Récréatrales tout comme la SNC devait être reportée.
Kulture Kibaré : Au regard de la situation, est-ce possible de proposer un autre format de la SNC, tout en prenant bien évidemment toutes les dispositions nécessaires pour éviter la propagation de la Covid-19 ?
Thierry Millogo : Oui, il y a eu des propositions d’un autre format de la SNC. Mais pour cette édition, on avait mis la barre très haute. Aujourd’hui, si on doit revenir avec un autre format, à réaménager, ce n’est plus la même SNC qu’on aurait souhaité proposer aux gens. Sur ce principe donc, il y a déjà un problème. On ne pouvait pas tenir la SNC sans par exemple, le village des communautés, ça ne serait plus la SNC. On ne pouvait pas non plus proposer une SNC sans le pan artisanal et commercial, ça ne serait plus la SNC. On ne peut pas faire la SNC sans le marché des arts, ce n’est plus la SNC. Parce que la SNC ne se limite pas au GPNAL, c’est tout un ensemble d’évènements autour. Si l’on proposait une SNC sans les plateaux off, est-ce que c’est la SNC ? On allait alors se retrouver dans une SNC diminuée de sa substance pour des gens qui avaient souhaité donner une SNC de haut volt à leur population. Avoir une SNC, style mouta-mouta, ce n’est pas ce qu’on entendait vraiment proposer. A défaut donc de donner ce qu’on veut, c’est mieux tout simplement de prendre notre mal en patience, de permettre de décaler, le temps que la maladie à Coronavirus passe. Et puis la 20e édition dans tous les cas, aura lieu. Puisqu’il y a eu la 18e édition, il y a eu la 19e et la 20e aussi aura lieu. C’est seulement la date qu’on ne connait pas. Sinon, ça ne veut pas dire qu’on va sauter la 20e édition. Ce n’est pas possible. Cette édition aura lieu mais c’est une date qu’on ne connait pas. Elle ne peut pas se tenir en 2020 mais elle aura quand même lieu cette 20e édition. Voilà la nuance qu’il faut noter.
Kulture Kibaré : Nous savons que c’est pratiquement à une dizaine de jour de l’ouverture officielle de la SNC que le Gouvernement burkinabè avait pris la décision en mars 2020, de reporter cet évènement. Quel est donc le sort des artistes et groupes d’artistes finalistes ?
Thierry Millogo : C’est vrai que j’ai une pensée toujours pour ces artistes. Chaque fois qu’on parle de SNC, je vois des groupes qui ont travaillé d’arrache-pied, qui ont fait beaucoup de répétitions, qui ont mouillé le maillot, qui se sont équipés, qui étaient très enthousiastes de venir à Bobo-Dioulasso. J’ai vraiment une pensée pour ces gens, parce qu’ils défendent nos valeurs culturelles. On avait pris des dispositions pour que ces gens soient logés dans des conditions décentes, pour qu’ils soient bien traités pour cette édition. Malheureusement, Coronavirus est venu tout remettre en cause. Mais je suis conscient que c’est des gens qui ont engagés des frais. On est en discussion avec le ministre qui est très favorable d’ailleurs, à ce qu’on trouve éventuellement dans les milliards que vous connaissez, quelque chose à donner aux artistes des régions, parce qu’ils ont aussi subi un préjudice. C’est des gens qui ont engagés des frais comme je le disais tantôt, pour une SNC qui n’a pas eu lieu alors qu’on était juste à presque deux semaines de l’évènement. Tous ces frais de préparation, de répétition, il faudra à un moment donné qu’on pense à leur apporter un petit soutien dès que les conditions le permettent. Franchement, je suis d’accord qu’il faut regarder ces artistes-là. Et c’est dommage. On voulait tellement leur donner la meilleure des SNC et pour moi ça fait vraiment mal de ne pas pouvoir le faire cette année. Mais on ne perd pas de vue qu’il faut regarder pour essayer d’accompagner ces troupes dans les régions pour qu’elles puissent avoir confiance et reprendre progressivement aussi les répétitions parce que ça coûte de l’argent.
Kulture Kibaré : Alors, à combien estimez-vous les charges inhérentes au report de la SNC 2020, de mars à aujourd’hui ?
Thierry Millogo : Les charges sont autour de 300 millions FCFA à 350 millions FCFA. Si on se réfère aux frais qui sont déjà plus ou moins engagés. Ces pertes sont évaluées sur la base de ces gens à qui on avait passé des marchés. Il y avait des marchés qui étaient passés pour faire des supports de communications, des pagnes pour la SNC, des tee-shirts, refaire la cour de la SNC, etc. Il y a vraiment énormément des choses comme au niveau de la communication. Il y a eu plusieurs réunions déjà, plusieurs supports qui étaient déjà prêts, puisqu’on était fin prêt. Tous les marchés étaient passés. C’est-à-dire que les gens étaient dans la phase d’exécution des marchés. C’est après ça, qu’il faut évaluer effectivement tous ces marchés qui sont passés. Là, où il y a eu des bordereaux de livraison, il faut évaluer. S’il n’y en a pas, il faut regarder là où est-ce que le marché a été exécuté, jusqu’à quel pourcentage ? Et les financiers sont là-dessus pour le définir afin de pouvoir dédommager ces personnes qui ont engagé leur argent. Tous les marchés étaient passés. Il faut maintenant évaluer sur pièces, l’ensemble des marchés exécutés.
Kulture Kibaré : Si la 20e édition est reportée à une date ultérieure comme vous l’avez souligné, on ne parlera plus de pertes, puisque les exécutions s’effectueront à la nouvelle date choisie, si l’on tente de vous comprendre.
Thierry Millogo : Le problème des marchés publics, c’est qu’à une date de clôture, le budget n’est pas reportable. Il y a des règles de comptabilité dans les systèmes des marchés publics qui ne permettent pas cela. Pour moi, c’est reporté mais il faut rembourser tout simplement ce qui est engagé. Le report peut être en 2021 ou soit même en 2022. Comme on ne sait pas trop, je pense que c’est mieux de finir ce dossier et le classer et on n’en parle plus.
Kulture Kibaré : Le ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme (MCAT) a évoqué au cours d’un déjeuner de presse, le 10 septembre passé, que les dépenses qui avaient été engagées seront remboursées. En tant que président du CNO, où en est-on concrètement avec cette réparation des préjudices ?
Thierry Millogo : Non, ce ne sont pas des préjudices. On va évaluer tout simplement. C’est vrai ce que le ministre a dit, il a instruit d’ailleurs le DAF pour prendre les dispositions au niveau du ministère des Finances pour que cela puisse se faire. Il y a tous ceux qui avaient des marchés passés, il y a aussi ceux qui avaient pris des stands qu’il faut rembourser. A la date du report, on était à 34,9 millions FCFA encaissés à peu près pour les stands. Il faut rembourser toutes ces personnes qui avaient pris des stands. Il faut mettre en place un mécanisme pour rembourser. Ils sont en train de prendre des dispositions pour que cet argent qui est déjà rentré dans les recettes de l’Etat, qu’on puisse le ressortir en dépense pour pouvoir rembourser les gens. Les DAF sont en train de voir avec les régisseurs pour qu’on puisse mettre des guichets pour rembourser les gens.
Kulture Kibaré : Dites-nous, qu’allez-vous faire du budget de la SNC 2020, estimé à 700 millions FCFA si toutefois l’évènement viendrait à être officiellement annulé ?
Thierry Millogo : Dans la comptabilité publique, quand ce n’est pas dépensé, c’est reversé dans le Trésor public. L’Etat devrait dégager autour de 500 millions FCFA et il y avait 200 millions FCFA à rechercher auprès des partenaires. Pour ce qui concerne le Gouvernement, ce qui a été engagé, on va déduire ce qui va servir à payer les marchés exécutés totalement ou partiellement et le reste va être reversé au Trésor public.
Kulture Kibaré : Quel message adressez-vous à toutes ces personnes qui sont toujours optimistes quant à la tenue de la 20e édition ?
Thierry Millogo : Moi-même je suis un éternel optimiste. Il faut rester optimiste. La 20e édition aura lieu, c’est la date qu’on ne connait pas. L’édition de 2020 n’aura pas lieu mais la 20e édition de la SNC aura lieu. Il faut être optimiste. Vous savez qu’il y a des élections au Burkina. Après ces élections, peut-être que le président élu pourra décider de faire en sorte qu’on puisse tenir la 20e édition en 2021. On n’en sait jamais. Cela peut être possible. Donc pour moi, il faut juste attendre et regarder ce que le Gouvernement va décider après.
Kulture Kibaré : Alors il faudra aller rechercher un autre budget pour la 20e édition qui va se tenir ?
Thierry Millogo : Il faut rechercher un autre budget puisque ce présent budget va être reversé totalement. On repart donc à plat. Ça suppose que si on veut l’organiser, il y a deux possibilités. Il faut que l’Etat trouve les ressources ailleurs, puisque dans le plan budgétaire de 2021, il n’y avait pas de SNC. Si jamais le président va décider d’organiser la SNC, il faut qu’il trouve des ressources ailleurs, ou soit sous forme d’appui budgétaire de la part des partenaires techniques et financiers, soit d’un fonds exceptionnel que le chef de l’Etat mettra à la disposition du ministère de la Culture pour cet évènement. Sinon, l’Etat même dans sa ligne n’aura plus de ligne SNC en 2021. Il faut nécessairement chercher les ressources ailleurs. C’est éventuellement cela qu’il faudra faire. Si le chef de l’Etat élu prend la décision, c’est bien possible.
Kulture Kibaré : S’il y a d’autres informations importantes sur la SNC 2020 que nous n’avons pas abordées, confiez-vous pour finir.
Thierry Millogo : Je pense que la SNC pour cette édition, on avait vraiment pris les dispositions pour donner la meilleure des SNC. On avait revu les logements des artistes, leurs cachets, etc. On avait même privilégié les artistes burkinabè sur les scènes. Pour cette édition, exceptionnellement, on avait déjà enregistré la chanson, l’hymne de la SNC avec sept de nos talentueux artistes qu’on n’a pas pu diffuser. Il y avait énormément d’innovations. Mais il faut rester optimiste, savoir juste attendre le moment pour notre SNC. Tout le monde tient à ça, y compris moi et je pense que le prochain président va vraiment se pencher là-dessus.
Interview réalisée Malick SAAGA