Pala : Le village de la maîtrise du fer et du feu

Pala : Le village de la maîtrise du fer et du feu

En quête de connaissance pour mieux nourrir son art, l’artiste conteur et pluridisciplinaire, Kientega Pingdéwindé Gérard dit KPG parcourt avec son équipe, les régions du Burkina Faso pour collecter des informations auprès des dépositaires des us et coutumes. Il s’intéresse aux mystères de la forge chez les forgerons. Après plusieurs localités visitées, c’est au tour de Pala, dans le Houet, d’accueillir, le 10 juin 2020, le natif de Arbollé, dans le cadre de sa recherche. Une immersion dans l’atelier de la forge a permis de découvrir le savoir-faire des forgerons de Pala sur le fer et le feu.      

La pluie a créé les conditions d’un temps beau et humide. La température est relativement gracieuse. Le ciel est dégagé. Il est pratiquement 10 heures du matin. Nous venons d’arriver dans le village de Pala, dans l’Arrondissement 5 de la Commune de Bobo-Dioulasso. Et tout semble indiqué à travers les signes que les ancêtres ont entériné la requête des visiteurs du jour. Nous sommes dans la cour du chef forgeron de Pala, Sogossira Seydou Sanon.

L’atelier de la forge de Pala

Pala, cette bourgade de plus de 10 000 habitants selon le témoignage sur place, est occupée par des forgerons avec pour patronyme Sanon, à l’exception d’une minorité, les Sansan, venus d’ailleurs. C’est un forgeron « dozo » qui a fondé ce village depuis des siècles, à en croire le chef. Celui-ci avoue ne pas se souvenir de la date précise. Cependant, il affirme avec conviction que les Sanon sont les premiers habitants, les autochtones donc, de Pala.

Des sacrifices avant d’accéder à l’atelier de la forge

Alors, la visite du jour a pour objet, la découverte de l’atelier de la forge de Pala. L’international conteur, KPG et son équipe s’intéressent surtout aux outils de la forge, leurs fonctions et leurs représentations. Pour être admis dans l’espace de la forge, lieu hautement symbolique, le conteur et ses collaborateurs ont, deux jours plus tôt, apporté du dolo (bière de mil), un coq rouge et une poule blanche pour consulter les ancêtres avant d’entrer dans le sanctuaire des maîtres du fer et du feu. La requête est favorable et nous voici en pleine séance en temps réels dans l’atelier de la forge, bâti dans la cour du chef forgeron de Pala.

Chef forgeron de Pala, Sogossira Seydou Sanon

Au cœur de la maîtrise du feu et du fer

C’est sous un hangar pratiquement couvert, avec trois ouvertures que les forgerons nous accueillent. Dans ces lieux, trois principales entités donnent sens à cet atelier de la forge. Ce sont : l’inamovible enclume, le foyer et la jarre à moitié cassée remplie d’eau appelée l’antre du Kientega. Notre mémoire nous rappelle alors que le sang des deux poulets égorgés a été dispatché sur chacune de ces trois entités.

Pendant la forge, les battements du soufflet attisent le feu. Le fer se ramollit sous la forte température et devient tout rouge et malléable. Il est ensuite retiré puis rincé par les mains et les talons des pieds avant d’être roué de coups sous le marteau et l’enclume. « Quand ils sortent le fer rouge, ils passent leurs mains dessus ensuite sous leurs pieds. Même en étant forgeron, il faut d’abord être initié. Tant que tu ne passes pas auprès des anciens, tu ne peux pas le faire même si tu es né forgeron », explique le chef forgeron de Pala.

Cette action est plusieurs fois répétée jusqu’à ce que le fer prenne la forme voulue. « Lorsqu’on met le fer au feu et qu’il devient rouge, il faut l’envoyer au Dibi, une pierre que le vent ne peut pas soulever. C’est à partir de là, qu’on tape pour donner la forme qu’on projette. Puis, on revient au niveau de l’enclume. Il y a trois enclumes qui n’ont pas les mêmes fonctions. Il y a une qui sert à donner la forme au fer, une autre pour le polir et ainsi de suite. Une grosse pierre en granite est aussi utilisée comme un moule pour donner une forme courbée », confie toujours le chef.

La maîtrise du fer et du feu est assurée physiquement par des jeunes sous le regard attentif d’un vieillard, assis dans un coin, à l’intérieur de l’atelier de la forge. Ce dernier suit les faits et gestes sans donner des directives. Aussi, quelques femmes, des griottes, chantent devant l’atelier pour accompagner les mouvements. Toutes les actions sont coordonnées et chaque partie prenante a un rôle à jouer.

L’installation d’un atelier de la forge relève d’un savoir faire des initiés. Elle se fait selon des rituels. Si le patriarche décède, les habitants du village procèdent par arracher les objets de l’atelier concerné, un a un, sauf l’enclume. C’est avant la fin des funérailles du défunt, qu’une nouvelle forge est installée en pleine nuit.

L’interdiction du mariage avec les forgerons

Pala

Nous sommes nous déjà interrogés, pourquoi la plupart des autres ethnies interdisent le mariage avec les forgerons ? « Sans rentrer dans les détails, c’est pour préserver le contenu des castes. Par exemple la démonstration qui a été faite, tout à l’heure, c’est-à-dire, retirer le fer rouge et le rincer aux mains et aux pieds, tant que tu n’es pas forgeron de père, de mère et de sang, tu ne peux pas le faire même si tu es forgeron. Marier une femme qui n’est pas forgeron, l’enfant que vous aurez, s’il l’essaie, aura des problèmes », réponds le chef. Il évoque sans vraiment rentrer dans les détails, la préservation de la caste des forgerons dans cette forme de stigmatisation. L’artiste forgeron, KPG clarifie davantage. Il estime que  la déchéance par rapport aux forgerons et autres peuples en terme de mariage, selon son entendement et les recoupements des informations, toutes les sociétés ne sont pas pareilles. Mais dans toutes les sociétés, la forge était au centre des choses, que ce soit dans un village ou dans une communauté. « Parce que tout passait par là. Il y a l’économie qui tournait autour de la forge. Le fer symbolise quelque chose d’important dans la société. Le fer signifie beaucoup de chose dans notre société. Il y a beaucoup de métaphore, beaucoup de symbolique et des mythes autour du fer et autour de tous les outils d’extraction. La connaissance de tout ce qui est à l’intérieur de notre sous sol fait que le forgeron est vu comme un être non seulement soit surnaturel, soit maléfique, soit quelqu’un qui compose avec les esprits. Ce qui fait que les gens se disaient peut-être qu’il y a un rejet de façon naturelle. Parce qu’au regard même des forgerons qui prennent le feu ou rentrent dans le feu, soit il est un élément du feu ou alors il a quelque chose qui a un lien avec le feu. Cela fait que les gens regardent le forgeron autrement. Aussi, dans notre société, les chefs de terre travaillent beaucoup avec les forgerons. Les chefs de guerre travaillent aussi beaucoup avec les forgerons. Le roi travaille également avec le forgeron. C’est-à-dire que tout le pouvoir se dirige vers lui. Donc, à un certain moment donné, le roi doit trouver une stabilité dans sa société. Et qu’est-ce qu’il va faire? C’est de faire en sorte que le forgeron ait moins de pouvoir. Il faut stigmatiser le forgeron d’une manière ou d’une autre pour qu’il ne soit pas le centre d’intérêt », a soutenu KPG. Si, alors cette crainte engendre le mépris ou peut-être le rejet des forgerons, il faut se dire que cette caste renferme toujours bien de mystères qu’il faille découvrir.

Malick SAAGA             

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