Indépendance musicale : A quand le Burkina Faso ?
La musique, comme le soulignait brillamment le chercheur congolais en musicographie, Manda Tchebwa, constitue pour chaque peuple une carte d’identité sonore, dont la lecture permet d’identifier le pays, l’ethnie, le clan, la tribu d’origine. Autrement dit, la musique est l’identité culturelle d’un peuple, ou tout simplement l’on reconnait un peuple par sa musique, et donc ses musiciens.
Lors de l’atelier national sur la diffusion et la promotion de la musique burkinabè, en décembre 2018 au Burkina Faso, un certain nombre d’acteurs culturels réunis avait tiré l’attention sur ce que c’est la musique burkinabè. Ils avaient proposé une définition qui se veut être un ensemble des sonorités et des rythmes d’expressions instrumentales et/ou vocales (inspirées par la musicalité de la langue) corporelles, littéraires, poétiques, symboliques et cultuelles ou non, authentiques et singuliers, qui véhiculent la culture burkinabé qui la véhicule, et auxquels, dans la durée et des espaces territoriaux divers, s’identifient un plus grand nombre de Burkinabé, dans leur diversité et composantes multiples.
Près de 60 ans après les indépendances, notre pays le Burkina Faso, a-t-il vraiment cette identité culturelle musicale ? Un auditeur dans le monde peut-il aisément reconnaître la musique burkinabè ? A quoi reconnait-on une musique venue du pays des Hommes intègres ? Bien évidemment partant de cette définition plus haut, les principales caractéristiques d’identification d’une musique burkinabè sont le rythme, la mélodie, le chant, la langue (musicalité poétique, littérature), la danse, l’instrument joué, etc.
Mais au moment où le pays des Hommes intègres célèbre ses 59 années d’indépendance, pouvons nous également fêté son indépendance musicale ?
Si l’autonomie politique semble acquise, ce n’est pas le cas pour l’économie, encore moins pour la culture, et donc de la musique. Or, entre autres définitions, l’indépendance est la liberté de pensée et d’expression en dehors de toute forme d’influence ou de pression extérieures. Retenons cet ensemble de mots, « liberté de pensée et d’expression en dehors de toute forme d’influence » pour dresser l’état des lieux de la soi-disant musique burkinabè.
Notre musique est-elle indépendante de toute influence ou de colonisation musicale ? La réponse est à première vue négative. Aujourd’hui, la musique burkinabè est à la croisée des chemins. Depuis plusieurs années, nous assistons à la naissance, que dis-je, à l’enracinement d’un Burkina musical multiforme, avec des musiques urbaines d’un côté, et de l’autre côté des musiques traditionnelles ; des musiques clonées, et des musiques commerciales de part et d’autre. Le melting-pot est certes souvent perçu, comme l’ingrédient d’une richesse culturelle, mais il ne faut pas perdre de vue qu’il est parfois le premier facteur de la disparition d’une culture donnée.
En ce qui concerne le Burkina Faso, il est difficile de parler à proprement parler d’une identité musicale tant la cacophonie est flagrante, et les influences extérieures énormes. Notre pays n’est pas de ce point de vue un cas à part. Loin de là. Certains peuples sont quasiment confrontés à cette difficile équation. Mais, cela ne saurait justifier l’absence d’une musique, disons des sonorités musicales propres à nous. Il doit, comme c’est le cas pour les différentes musiques du continent (ghanéenne, nigériane, sénégalaise, congolaise), facile de reconnaître notre musique, nos sonorités, notre style musical.
Au contraire, le Burkina Faso, grandement influencé par la musique de certains pays voisins, présente, depuis plus de deux décennies, une musique « fourre-tout », sans réelle identité, ni saveur. Les quelques rares hommes et femmes qui tentent, à travers la musique traditionnelle, suivez mon regard, de maintenir vivant ce pan de notre culture du terroir, sont relégués au second plan. L’on pourrait parler d’artistes musiciens de seconde zone. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un regard sur notre scène musicale. On ne leur fait appel qu’accidentellement. Quid du pourcentage de chansons traditionnelles burkinabè jouées dans nos radios et télés ? A chacun de répondre.
Une chose est sûre, il n’existe pas encore, ayons le courage de le dire, une Musique burkinabè au sens plein du terme. A qui la faute ?
Une chose est sûre, la tâche revient aux autorités, et surtout à l’ensemble des acteurs culturels (artistes musiciens, producteurs, mécènes, journalistes culturels, etc.) de s’engager résolument, chacun à son niveau, à corriger cette tare musicale, et à bâtir une identité musicale à notre cher pays, le Burkina Faso. L’atelier national sur la diffusion et la promotion de la musique burkinabè était un pas. Mais chez nous, les recommandations et autres expertises dorment toujours dans le terroirs.
La Rédaction