Beewane : Les confidences du rappeur Smarty

Beewane : Les confidences du rappeur Smarty

« Beewane » est une entreprise vestimentaire de l’artiste-rappeur burkinabè, Louis Salif Kiekieta dit Smarty, Prix découverte RFI 2013. Créée en septembre 2018, elle se révèle , en une année, être un véritable style vestimentaire prisé par  les Burkinabè. Disponible dans neuf (9) villes burkinabè, le promoteur voit sa mayonnaise prendre de jour en jour. Quels peuvent bien être la taille et le chiffre d’affaire de cette jeune entreprise ? Quels sont les codes symboliques à l’effigie des tee-shirts Beewane ? Qu’est-ce qui profite le mieux en ce moment à l’artiste, sa marque ou sa musique ? Quelles sont ses ambitions ? Nous avons rencontré Smarty, le 6 septembre 2019, à Ouagadougou. Il a accepté se confier à l’équipe de Kulture Kibaré. Emettant parfois des réserves sur certaines questions, il se livre tout de même à cœur ouvert.       

Kulture Kibaré : Que signifie « Beewane » ?

Smarty : Beewane est un concentré de deux langues. C’est en mooré car je suis moi-même Burkinabè et mossi. C’est aussi en anglais qui signifie Be one traduit par ne faire qu’un, être parmi les meilleurs. Ça veut simplement dire, être uni et ne faire qu’un. C’est donc un assemblage. En mooré, quand quelque chose est bien, on dit de l’apporter. Cela se traduit en langue par biiwanê. J’ai voulu créer une signification dont à l’intérieur du mot, on retrouve et le mooré et l’anglais afin de traverser les frontières.

K.K : Quelle est la petite histoire de cette marque vestimentaire,  allant de l’idée à la création ?

Smarty : Avec Yeleen on avait déjà commencé. Je pense que l’un des groupes de musique qui a tenté l’investissement dans le textile ou dans la création de mode, c’était Yeleen avec Waga-Djam. Cela avait bien marché. Mais, après quand on a arrêté nos activités, l’idée me trottait toujours dans la tête. Parce que j’ai vu ce projet avec d’autres rappeurs et j’essaie de suivre leur exemple. J’ai vu ça avec un rappeur kenyan, avec Jay-Z, Booba et plusieurs autres. Pour moi, c’est un moyen de réinvestir ce qu’on gagne dans la musique. J’avais envie de créer quelque chose mais cela a pris du temps. Je voulais vraiment faire quelque chose qui soit compétitif, qui soit à mon image et quand les gens vont acquérir le produit qu’ils ne soient pas déçus. C’est pour cela, ça mis du temps. Après, j’ai eu un partenaire financier qui a voulu donc se joindre à moi. Ensemble, on a mis l’idée en place et on a commencé à faire la production des tee-shirts.

K.K : Quel est le mode de production des produits Beewane, de l’acquisition de la matière première à la confection en passant par la finition des produits ?

Smarty : Le mode de production est très simple. On travaille avec le designer. On met ensuite toutes les idées en place. On valide avec toute l’équipe les designs par rapport à la collection qu’on veut lancer. Ensuite, on envoie aux fabrications, c’est-à-dire, la fixation sur les tee-shirts. On valide ensemble les échantillons. Après, on commande le nombre de produits qu’on voudrait et on nous fait la livraison à Ouagadougou.

K.K : Quels sont les codes socio-culturels que vous cherchez à transpercer à travers les différentes images traduites sur les vêtements « Beewane » ?

Smarty : Les codes sont simples. Si vous constatez, on a commencé avec un bonhomme qui avait un bonnet. On essaie de représenter le jeune burkinabè qui pourrait être le jeune africain qu’on retrouve un peu partout dans les rues. On l’avait nommé ghetto biiga, à son temps. C’est-à-dire, les enfants que vous croisez en petite culotte qui courent dans les quartiers et autres espaces. L’idée était de partir de là. Moi-même étant rappeur, je suis parti des bas quartiers pour arriver à là où je suis. C’est de ne pas oublier d’où l’on vient, valoriser aussi ce côté-là qu’on oublie. Parce qu’on oublie que beaucoup de gens qui ont reçus viennent de ces quartiers pauvres. Cette image de l’enfant que l’on appelle ghetto biiga, est représentative. Après, on a voulu lui mettre certains colliers et bijoux. C’est l’image de quelqu’un qui a envie de réussir, l’image de l’enfant qui n’est rien aujourd’hui, mais qui va être l’adulte sur lequel le pays comptera demain. Vous avez également des images qui parlent de l’Afrique, du temps préhistorique. On va aussi chercher dans les masques africains pour en faire un mélange. Il y a une photo dans la dernière collection d’une dame qui porte un peu les cauris. Tout cela est lié à la tradition africaine. On a voulu, dans les couleurs et l’emblème de Beewane avoir du rouge, blanc et noir. Des couleurs universelles et qui se veulent être rassembleur. L’idée, c’est véritablement, ne pas rester au Burkina. C’est arriver aussi à dire que c’est une marque burkinabè qui est née au Burkina et qu’un américain puisse le porter pour être à l’aise.

 

 

K.K : Quel lien établissez-vous donc entre la marque, vous et la société ?

Smarty : D’abord l’idée est née de moi, le nom également. Je travaille avec un designer sur les designs et on les valide ensemble. Le lien, c’est une continuité de l’esprit que je veux véhiculer dans ma musique. Aussi il faut, au-delà de la musique avoir l’esprit entrepreneuriat. Malheureusement, je pense qu’on l’a compris mais beaucoup plus tard. J’ai l’u, il n’y a pas longtemps, des bouquins sur des investisseurs comme Jay-Z, Puff Dady, etc. parce que je viens de cette culture qui est le hip hop. J’ai vu comment ils réinvestissent aujourd’hui, que ça soit dans l’alcool, les vêtements ou l’immobilier. Ils ont plein de petits investissements qu’ils font et qui laissent constater aujourd’hui que leur musique est devenue secondaire. Même quand ils le font, c’est par plaisir. C’est dire donc que ces investissements sont pour la plupart 60% de leur richesse aujourd’hui. On est alors appelé au-delà de la musique, à montrer que les artistes sont intelligents et qu’ils peuvent être aussi des entrepreneurs

K.K : Quelle peut bien être la taille de cette entreprise ?

Smarty : J’aime la légalité. Beewane est porté par la marque Marvin Prod qui est ma structure. Elle est enregistrée légalement au niveau des services des impôts. On a notre registre de commerce. On fait véritablement tout dans la légalité et on paie normalement nos impôts. Au niveau de l’étendue, on a voulu  dans notre manière de faire, bénéficier tout le monde. Quand on a créé Beewane, on a eu cette proposition de construire des boutiques dans chaque ville et gérer nous-même. On n’a pas voulu de cette philosophie. J’ai voulu que chacun s’approprie la marque. Nous sommes actuellement dans neuf (9) villes. Il y a des gens qui nous représentent, à qui d’ailleurs, ont fait parvenir la marchandise. Ils la vendent et tirent leur bénéfice. C’est ça la philosophie. C’est essayer de créer l’emploi et faire vivre des gens à travers notre projet. Tous les bénéfices ne reviennent pas à Smarty. Les gens prennent en gros, ils ont leur marge et c’est comme ça qu’on avance. Dans chacune de ces neuf (9) villes, on a des représentants. Des personnes qui sont fières de travailler pour nous. On est présentement en train d’étudier la possibilité d’aller sur Abidjan, Togo et Mali. Il y a de la demande là-bas. Il y a le site internet qui est en train d’être construit au niveau du Canada. Là-bas, quelqu’un va se charger de pouvoir faire de la distribution. Cela veut dire que désormais vous allez pouvoir commander sur le site et vous faire livrer directement. On y travaille. C’est une jeune entreprise parce qu’on a qu’un an. On travaille minutieusement et je veux un projet durable. Il y a les neuf (9) représentants, ça fait déjà donc neuf (9) personnes. Ces dernières emploient des personnes sur places. A Ouaga, on a la gérante qui est à la boutique centrale. On compte venir au centre-ville très bientôt. Ça fait donc dix (10) personnes plus mon associé, le designer.  Au total, je crois qu’on doit être 14 ou 15 personnes sur le projet, à vivre vraiment de ça. En ce qui concerne le chiffre d’affaire, on dit qu’au Burkina c’est dangereux de parler de chiffre. Je vais garder les chiffres pour le moment, assez confidentiels. Il y a la concurrence, y’a pleins de paramètres. On évolue avec la modestie. On n’est pas déçus, on est même supers satisfaits de comment la chose tourne. Ce qu’il y a dire, c’est que ça tourne vraiment fort.

K.K : Quelle est la place de « Beewane » dans votre carrière musicale ?

Smarty : La place de Beewane reste encore secondaire. Elle accompagne mes œuvres. Je sais qu’il y a des personnes qui s’identifient au travail que je fais et qui aujourd’hui, ont un produit dérivé. Chaque que ces personnes viennent en spectacle ou même à distance quand ils ont un tee-shirt Beewane, ils se sentent beaucoup plus proche de moi. C’est notre politique. Après, cela ne suffit pas pour rendre un produit durable. C’est aussi la qualité car on veut que le client se sente fier. Lorsque tu portes le tee-shirt Beewane, tu dois avoir la rigueur de l’artiste, celle que je mets dans mon travail. Si tu donnes quelque chose qui n’est pas bien, il suffit qu’un client dise le produit n’est pas bon et forcément, ça effet de carte, ça risque de nous salir. On est vraiment très exigeants au niveau de la qualité. J’essaie de faire avec Beewane, ce que je fais de ma musique.

Beewane est aujourd’hui la marque vestimentaire des jeunes branchés

K.K : Qu’est-ce qui marche le mieux en ce moment pour vous ? Votre entreprise vestimentaire ou votre musique ?

Smarty : C’est assez difficile à répondre. C’est clair que quand tu fais autant d’année sans sortir d’album, c’est pas facile. Cela fait pratiquement 6 ans que je n’en ai pas sorti mais Dieu merci je continue d’avoir des spectacles et même à tourner. C’est clair que ce n’est pas tout le temps qu’on est sollicité. Au niveau de l’activité musicale, on a beaucoup plus d’entrées mais j’avoue que Beewane c’est au jour le jour. Chaque semaine, le chiffre d’affaire qu’on fait est beaucoup plus conséquent comparés aux cachets que je reçois dans la musique.

K.K : A propos de Beewane, qu’est-ce que nous n’avons pas pu bien évoquer ?

Smarty : Ce qui était important de préciser, c’est qu’aujourd’hui, ce qui fait que Beewane a de la valeur et existe c’est quand même l’artiste que je suis. C’est les valeurs que je porte, c’est la musique et la carrière que j’ai pu bâtir jusqu’aujourd’hui. Je ne pense pas que si j’étais venu simplement en tant que Louis Salif Kekeïta et que je sortais un tee-shirt, les gens allaient peut-être s’y intéresser. C’est pour dire que la racine de tout cela est musicale et culturelle. Elle est née de ce que la musique a bien pu m’apporter. Je reste reconnaissant, je ne lâche pas l’affaire. Je pense que je suis à 90% dans la musique et 10% dans l’entreprise Beewane qui n’est qu’une partie de ce que je veux faire. Ce n’est qu’une petite partie de ce que j’appelle investissement dans la musique. Je suis réellement en train de penser à diversifier ce que je suis en train de faire. J’invite tous mes collègues réellement à le faire. Parce qu’aujourd’hui, quand on regarde la sphère, ce qui se passe au niveau du rap surtout, les acteurs du hip hop dans le monde,  sont des businessmen, des hommes d’affaires. Tu as dedans des gens qui sont producteur de cinéma, 50 cent, Akhenaton du groupe I AM … Il y a Awadi du Sénégal qui est producteur de cinéma et qui fait des œuvres qu’il vend à canal+. Il faut utiliser sa notoriété surtout quand on est au Burkina Faso. On sait que c’est difficile de vivre de son art. On sait que les cachets ne sont pas conséquents. Jusque-là, on est en train de se battre pour des cachets à l’image de ce que reçoivent certains dans les pays voisins. Mais en attendant, devenons des hommes d’affaires, parlons investissements, voyons comment on peut investir dans l’immobilier, le commerce. Beaucoup le font. Un gars comme Tigme Zamna a sa ferme. L’ambassadeur ODD, aussi le slameur Ombr Blanch ont investi. C’est de ça qu’il s’agit. Au-delà de ce que je viens de dire, j’en appelle même ceux qui viennent de débuter dans la musique qu’ils ne fassent pas comme nous en attendant longtemps avant de le faire. Il faut le faire maintenant, c’est très important.          

Réalisé par Malick Saga SAWADOGO

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COMMENTAIRES

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    Yannick Sawadogo 5 ans

    Bel article M. Saaga . Nous aimons quand vous travaillez ensemble. Nous espérons que l’épisode « attaque » entre vous est terminé. Courage dans vos entreprises.